Par Anne de Marnhac, historienne.
1746. Versailles. La Pompadour donne le La. Jusqu’à la moindre mèche de cheveux des courtisans…Pas un duc qui n’affiche alors un catogan poudré. Pas une comtesse qui ne s’auréole d’un nuage de cheveux immaculés. Pas une marquise qui serait sortie à cinq heures sans avoir blanchi ses boucles.Comme chez les gothiques d’aujourd’hui dont les cheveux sont identiques pour les deux sexes ( grâce à une bonne pinte de coloration noire aile de corbeau), les aristos, madame et monsieur, affichent la même couleur de cheveux ( une bonne dose de poudre blanche aile de cygne).Tout au long du siècle le code d’entrée à Versailles n’est pas black tie mais white hair.
Mode d’emploi de la métamorphose :
- Faire venir chaque matin un coiffeur à domicile.
- Plonger son visage dans un cornet en papier.
- Laisser l’expert capillaire vous tournicoter autour pour diffuser de la poudre blanche ou grise en actionnant un soufflet (le même modèle que celui des cheminées.)
- Les secrets de fabrication de cette poudre magique, un peu poudre de perlimpinpin?
- On prend des racines de vigne vierge, des écorces de bouleaux, voire des trognons de choux et on les brûle pour en recueillir les cendres. Ensuite on parfume celles-ci. Rose, jonquille… les senteurs florales sont à la mode. Recette d’un must have, la Poudre à la Maréchale : Écraser des rhizomes d’iris, les passer au tamis puis assaisonner la poudre obtenue avec un soupçon de coriandre et des clous de girofle broyés. Effluves garantis.
- Et pour ceux qui n’en ont pas les moyens, tout simplement, on prend de la farine…
Cela marche aussi sur les postiches et les perruques. On talque à tout va. La poudre lave plus blanc que blanc. Jusqu’aux coiffeurs que l’on surnomme alors merlans tant ils rentrent chez eux aussi enfarinés que des merlans prêts à cuire…La consommation de poudre était telle qu’en 1786 l’essayiste Jean-François Sobry alla jusqu’à la considérer comme un produit de première nécessité chez les peuples civilisés. Plus pragmatiques, les anglais instituèrent une taxe sur ce superflu si nécessaire. Quant aux coiffeurs-poudreurs, ils se frottaient les mains! Ainsi le sieur Legros, auteur d’un Art de la coiffure des dames va fonder une Académie de la coiffure où des « prêteuses de tête » testent toutes les inventions du moment. Cheveux poudrés, postiches poudrés, perruques poudrées… Tout y passe. Ces gâteaux capillaires blancs comme sucre sont ensuite décorés de plumes, de diamants, de fleurs, d’oiseaux, voire de maquettes de frégates ou de cornes d’abondance…
Le résultat esthétique de ce trafic – légal, de poudre? Dans son film dédié à Marie-Antoinette, Sofia Coppola mettait en scène une reine -alias Kirsten Dunst, qu’elle imaginait toute de fraîcheur : cheveux neigeux, joues dragées, teint de porcelaine. La réalité était-elle aussi exquise? En 1721, une voyageuse anglaise, Lady Montagu, déclarait sans prendre de pincettes : « Je trouve les beautés françaises dégoûtantes. Avec leurs cheveux crêpés et courts ressemblant à de la laine blanche et leurs visages couleur de feu, on les prendrait pour des moutons nouvellement écorchés! » Les peintures de l’époque sont moins chipies. Elles nous montrent des coquettes jouant habilement de l’art du contraste : cheveux très blancs pour minois très roses.Les raisons d’un tel engouement?Certes le 18ème siècle aime passionnément tout ce qui est lumineux, mignon et raffiné. Les bibelots rococo, les décors bonbons, les teintes claires, ivoire, or, crème. Mais la blancheur est surtout un code social, l’emblème d’une caste. Elle fait partie de la signalétique aristocratique au même titre qu’une peau très pâle et un envol de mouches sur le visage. Rien à voir avec le teint brun des paysans et leurs tignasses hirsutes. 1789. La Révolution française va emporter avec elle ces artifices nobiliaires alors que les têtes tombent. C’en est fini de jeter de la poudre aux yeux … Voilà Bonaparte et Joséphine qui montrent des cheveux naturels et naturellement sombres. C’est d’ailleurs Joséphine qui a pressé son fringuant militaire de renoncer à cette « antiquaille». ( Il le racontera dans ses Mémoires. Sur la question : poudré ou pas poudré ?, la citoyenne Bonaparte et lui avaient bien failli se crêper le chignon.) 1815. Golfe Juan. Napoléon Ier débarque. Échappé de son île d’Elbe, il est bien décidé à reprendre le pouvoir et faire déguerpir Louis XVIII.
Dans toute la France la bataille fait rage entre bonapartistes et ultraroyalistes.
Jusque dans les symboles vestimentaires et capillaires. Le port de la cocarde tricolore est interdit. Les cheveux poudrés de nouveau en faveur. On qualifie d’ailleurs les royalistes de « Perruques » tant ils aiment à parader avec leurs catogans poudrés. Les coiffeurs ressortent leurs soufflets des greniers. Deux ans plus tard, quand Balzac veut montrer dans « Le Père Goriot » combien son personnage est prêt à tous les sacrifices pour ses pimbêches de filles, il écrit ceci : « Il se passa de tabac, congédia son perruquier et ne mit plus de poudre ». Dans la pension parisienne où habite Goriot, la stupeur est générale quand il apparaît pour la première fois sans poudre. La tenancière se moque de « la couleur dégoûtante de ses cheveux gris ». Et l’on comprend combien la poudre faisait des miracles. Rien à voir entre des cheveux rendus gris ou blancs par l’âge et le casque clair flatteur qu’elle créait.

Mais, très vite, partout en France, la poudre passe et lasse… Elle est vraiment par trop associée à l’avant 1789, aux aristos et à leurs nombreux défauts. Elle se volatilise définitivement sous Louis Philippe surnommé le « roi bourgeois ». Retour au naturel. 1950. Le PDG de L’Oréal, François Dalle, s’afflige de voir tant de françaises avec des cheveux grisonnants qui les vieillissent prématurément. Il décide de démocratiser la coloration. Une armée de chimistes se met au travail. Nouvelles teintures décolorantes. Invention de la coloration à reflets Régé Color en 1952. Mise en vente de produits grand public créés par Jacques Dessange spécialement pour la grande distribution. Rien n’est laissé au hasard dans cette offensive contre les grises mines. Des millions de femmes vont désormais pouvoir se faire une couleur à domicile sans passer par la case coiffeur.
Dans les décennies qui suivent, c’est un festival de formules inventives pour combattre cette couleur qui n’en est pas une : le blanc.
On traque son premier cheveu blanc. On surveille ses racines. On fait des retouches avec des sprays. On recolore chaque mèche défaillante. Pas une star qui, à l’instar de Cher, n’affiche des cheveux noirs jusqu’à pas d’âge. Et ce jusqu’aux hommes politiques… On se souvient ainsi des factures ébouriffantes du coiffeur de François Hollande qui lui assurait des cheveux de jais pour chasser tout effet poivre et sel. Surtout sel. Outre-Alpes, Silvio Berlusconi n’était pas en reste avec ses cheveux éternellement noirs et gominés. Outre-Atlantique, à 71 ans, Donald Trump affiche un sacré toupet… résolument jaune serin. Sur le marché de la politique, du travail ou de la séduction, aucun quidam ne semble avoir envie de montrer son âge via ses cheveux. Mais le cheveu n’a pas fini d’être dans tous ses états. 2017. Cannes. Salma Hayek, radieuse, montre des cheveux blancs aux reflets roses.

À Londres, pour l’avant-première de Valerian, Cara Delevingne apparaît avec une coupe hyper-courte et ultra-blanche. L’égérie Yasmina Rossi, 60 ans, enflamme les réseaux sociaux avec sa longue chevelure silver. Chanel fait sa rentrée en affichant une mannequin aux mèches neigeuses. « White is White ». Le refrain court sur toutes les lèvres.
-« C’est une révolte?
– Non, Sire c’est une révolution! »
Par Anne de Marnhac